mercredi 13 mars 2024

Une belle mort, Gil Courtemanche

 

Noël. Le repas du réveillon. Toute la famille est réunie autour du père et de la mère. Hier encore figure imposante qui terrorisait ses enfants, le père, victime du parkinson rigide, est aujourd’hui prisonnier de son corps. Les paroles qui résonnent dans sa tête n’arrivent plus à franchir ses lèvres. Les mouvements qu’il veut faire le trahissent. André, l’aîné de la famille, approche la soixantaine. Il n’a jamais aimé son père, celui-ci ayant trop abusé de son pouvoir, trop menti, trop manipulé ses proches pour sauvegarder son image de toute puissance. Pourtant, il ne peut s’empêcher d’être profondément touché en étant le témoin de la déchéance de cet homme. Que faire quand on est en présence de quelqu’un à qui désormais tous les plaisirs sont interdits ? Faut-il prolonger sa vie, ou plutôt l’aider à l’abréger ? Autour de la table, les avis sont partagés.
 

Mon Avis (Lu il y a un bout)

Ah bonté quel livre! Mais aussi quelle difficile lecture tellement elle accroche et grafigne le cœur à plusieurs reprises. Et que d’émotions! Tantôt de joie, tantôt de colère et d’incompréhension car le thème principal est irritant; la maladie, l’incurable, celle qui fait peur et qui fait mal parce que l’on doit décider ou laisser faire, celle qui divise en deux clans une famille dont les liens déjà fragiles, s’étiolent de plus en plus.


Autour de la table, un certain soir où on est supposé s’amuser, on règle des comptes autant avec ce père autoritaire et très malade qu’entre frères et sœurs. Tout ça devant la mère, l’épouse qui, comme toujours, essaie de sauver le peu de ce qui reste de la famille.
Et pour comble de malheur ce mari, ce père qui n’en fût pas vraiment un. Ce vieil homme atteint de Parkinson qui s’empiffre comme toujours et qui ne veut rien savoir d’avoir de l’aide mais qui est devenu, bien malgré lui, l’enfant de sa femme et un fardeau pour certains de ses enfants. Triste vraiment!


Une belle mort nous emmène à réfléchir sur nos propres valeurs face à la maladie, la vie, la mort, face à l’amour filial. Quelle attitude avoir et quelle décision prendre face à de tels dilemmes?

J'ai beaucoup aimé ce livre écrit en toute humilité, respect et humanité. Courtemanche a une plume belle et la sensibilité de l’écrivain transcende à chaque ligne. À lire sans hésitation.

« La mort, on le souhaitait, viendrait comme un voleur. Malheureusement pour lui, pour maman et un peu pour nous, le voleur n'est pas reparti avec son butin, il a préféré s'installer dans la maison. »


Une belle mort: Gil Courtemanche, Boréal 2005

 Autres romans de l'auteur sur le blogue: Je ne veux pas mourir seul - Le monde, le lézard et moi 





jeudi 7 mars 2024

Duma Key, Stephen King

 

Mutilé par un terrible accident, abandonné par sa femme, Edgar Freemantle, un businessman du Minnesota, décide de tout quitter pour la Floride. Une nouvelle vie l'attend sur l'îlot de Duma Key, langue de terre presqu'inhabitée, dévastée régulièrement par des ouragans imprévisibles, et qui appartient à une mécène excentrique dont les soeurs jumelles ont disparu dans les années 20. Edgar va s'y découvrir un incroyable don pour la peinture. Les incroyables couchers de soleil lui inspirent des tableaux qui vont vite se révéler dangereusement prémonitoires.  Freemantle comprend alors qu'il doit découvrir ce qui est arrivé aux jumelles et l'étrange secret de la propriétaire des lieux, avant que les ténèbres n'engloutissent Duma Key et ses habitants. 

Mon avis (Lu il y a un bon bout)

D’entrée de jeu pour ceux et celles qui ont été déçus par certains écrits de King, Duma Key va vous réconcilier avec ce que vous êtes habitués de lire chez cet auteur et sa façon bien personnelle de nous raconter reprend force.  

Suite à un grave accident de travail, Edgar s’installe sur une île presque déserte afin de récupérer. Petit à petit, notre héros pour se changer les idées va reprendre goût à la peinture, passion qu’il avait délaissée depuis longtemps.  Il aime cette île et désire reproduire ce qu’il y voit. Mais, outre ces paysages, Edgar dessinera de drôles d’impressions, ses visions comme des prémonitions et celles-ci ne seront pas de tout repos car l’Île de Duma Key renferme des choses possédant d’inquiétants pouvoirs.  

Extraits

Il ne me fallut que vingt minutes et, lorsque ce fut terminé, j'avais dessiné un cerveau humain flottant sur le golfe du Mexique. Super-cool, d'une certaine manière. Il y avait aussi quelque chose d'horrible. Voilà un terme que je n'ai aucune envie d'utiliser pour mes œuvres, mais il est inévitable.  

Soyez courageux. N’ayez pas peur de dessiner les choses secrètes. Jamais personne n’a prétendu que l’art n’était que doux zéphyr ; il est parfois ouragan. Même alors il ne faut ni hésiter, ni changer de cap. Parce que, si vous vous racontez le mensonge des artistes médiocres – que vous savez ce que vous faites –, vos chances d’accéder à la vérité seront anéanties. La vérité n’est pas toujours belle.  

Souvenez-vous que la vérité est dans les détails. […] Le diable y est aussi, c’est vrai, comme l’affirme le dicton populaire, mais vérité et diable veulent peut-être dire la même chose. Ce n’est pas impossible, voyez-vous.  

Duma key est un très bon roman, l’histoire nous tient en haleine car mystérieuse, envoûtante et on veut savoir. Cependant quelques longueurs et aussi quelques manquements sur certains faits amenés par l’auteur au fil de l’histoire m’ont quelque peu irritée. En fait, ces quelques faits apportés à l’intrigue n’ont aucune utilité. De plus ils ne comportent aucun détail ! Pourquoi alors font-ils parties de l’histoire ? Pourquoi disparaissent-ils comme ça sans explication ? Je me le demande encore mais peut-être ai-je sous-estimé leur importance !   

Enfin je ne veux aucunement être négative car Duma Key a très peu de bémols de ce genre car il est non seulement un roman dont l’histoire offre des frissons garantis mais c’est aussi un bouquin dans lequel les relations père-fille ou encore l’amitié masculine sont omniprésentes. Sans oublier le talent incontestable de King lorsqu’il s’agit de décrire l’être humain avec ses bons et mauvais côtés ? Et il est vraiment le maître pour nous montrer autant les plus terrifiants que les plus émouvants.  

Bref, malgré quelques défauts, j'ai passé un très bon moment de lecture et j'avoue que, peu importe les petites tares, je suis toujours ravie de lire monsieur King.

Duma Key, Stephen King

Albin Michel, 2009

Autres romans de l'auteur sur le blogue22/11/63 - Ça - Cycle de La Tour sombre - Dôme - Joyland - L'Institut - L'Outsider - La ligne verte - Le bazar des mauvais rêves - Trilogie Billy Hodges: t1 Mr Mercedes - t2 Carnets noirs - Nuit noire, étoiles mortes - Rose Madder - Running man

 

lundi 4 mars 2024

Quand la voile faseille, Noël Audet

 


 Récit truculent de la vie dans un village de Gaspésie, vue à travers les yeux d'un jeune garçon.  (Lu il y a un bout)

Noël Audet nous livre sous forme de quatre nouvelles, des récits beaux et durs à la fois entre la mer et la terre et le tout se déroule dans un petit village gaspésien où chacun puise sa volonté de vivre là et où il le peut.  De plus, à l’époque sous l’ère de Duplessis, les paroissiens, paroissiennes n’avaient que peu de liberté et ne devaient obéissance qu’à l’autorité ecclésiastique.

 « En ce temps-là, on avait le cœur à l´étroit dans nos « bridcheusses » de laine, le regard bien tenu par des oeillères catholiques, l´esprit peu fier, la parole bégayante et, par grands bouts, silencieuse. Le peuple croyait être nourri de la main des évêques qui mangeaient dans la main du Chef qui se disait dans la main de Dieu. Ainsi tout le monde se sentait à l´abri pour manger son pain noir. »  

Ces gens ne vivaient que de récolte et de produits de la mer et la nature n’était pas toujours compréhensive et généreuse. Alors la petite misère était omniprésente. Mais ces conditions difficiles étaient monnaie courante en Gaspésie et bien que ce n’était pas toujours facile, l’auteur nous présente ce superbe roman sans larmoiements ni pitié; bien au contraire.  

L’humour particulier et succulent d’Audet prend aussi beaucoup de place pour nous raconter les frasques amoureuses et les colères d’Arsène qui aimait bien s’en prendre verbalement aux notables du village. Puis que dire de l’orgueil du jeune narrateur qui se gonfle sous la « compétition » que se livrent Laurette et Graziella pour qui gagnerait son cœur disponible. Un sacré phénomène sans oublier les autres personnages qui ne sont pas piqués des vers non plus! 

J’aime l’écriture de cet auteur qui sait si bien raconter. Une plume souple, drôle, poétique mais surtout d’une richesse incroyable. C’est un réel plaisir que de parcourir les mots de Noël Audet.

 « Ma route de tempêtes apaisées sans doute. Oui j'ai choisi sans louvoyer, et j'ai franchement mis le cap sur l'unique étoile. »

Quand la voile faseille, Noël Audet 

Bibliothèque Québécoise, 2002


Autre roman de l'auteur sur le blogue: Quand la voile faseille



vendredi 1 mars 2024

44 minutes, 44 secondes : Michel Tremblay

 

Montréal, 1964. Ils sont là, les Gilles Vigneault, Félix Leclerc, Jean-Pierre Ferland, Monique Leyrac, Clémence Desrochers, Claude Léveillée, avec leurs chansons qui parlent de l'hiver, du froid, de la nuit et de l'amour. Dans ce Québec qui vit à l'âge d'or des boîtes à chansons, un jeune chanteur beatnik à la beauté du diable fait son apparition et connaît un début de carrière fulgurant. Trente ans plus tard, alcoolique et revenu de tout, il se souvient. Quarante-quatre minutes, quarante-quatre secondes, c'est la durée non-stop du seul disque qu'aura enregistré François Villeneuve. Dix chansons, dix drames, dix moments marquants dans la vie d'un homme tourmenté et déçu, pour lequel l'auteur de La Nuit des princes charmants a une infinie tendresse. Mêlant fiction et réalité, Michel Tremblay signe ici un magnifique roman, une méditation douce-amère sur les grandes espérances qui ne tiennent pas toujours leurs promesses.


Mon avis (Lu il y a un bon bout)

François Villeneuve ex-chanteur devenu réalisateur radio par la force des choses, se retrouve, une journée de 1994, dans son bureau à se remémorer souvenirs après souvenirs tout en écoutant ses chansons enregistrées trente ans plus tôt et rééditée en version CD.

Dix chansons qu’il a lui-même écrites et qui racontent sa vie, ses émotions, son Moi. Et il se souvient  d’avant car chacune d’entre elles le ramène à une partie de sa vie, de la découverte de son homosexualité, des préjugés, de ses débuts artistiques, de ses rencontres, ses voyages, ses amours, ses erreurs. Chacun des titres, chacun des mots le replonge dans des états très émotifs. Quarante-quatre minutes, quarante-quatre secondes de chansons mais une nuit entière à les écouter, à en rire, à les chanter encore, à maudire la censure, à en hurler jusqu’à en pleurer de rage! 

Une histoire où la sensibilité transgresse de page en page.  Un roman dans lequel les souffrances, l’acceptation, les rejets, l’espoir et les déceptions prennent place. Ce n’est pas un roman d’humour, mais d’amour. D’amour des autres et de soi. Mais l’amour entre deux êtres du même sexe, en 1960 surtout pour une personnalité publique n’était pas bien vu et trop en dire, trop en faire ne donne pas le résultat désiré et le prix est cher à payer. La solitude, l’alcoolisme, l’amertume et les regrets prennent place.

Une fois de plus Tremblay sait faire. Tout un auteur, tout un conteur.  44 minutes, 44 secondes une histoire écrite à l’encre du cœur avec des mots qui sonnent vrai. À lire sans modération.

44 minutes, 44 secondes : Michel Tremblay

Actes sud 1997

Autres romans de l'auteur sur le blogueChroniques du Plateau Mont-Royal - Le trou dans le mur - Les Cahiers de Céline (Trilogie) - Récits autobiographiques12 coups de théâtre - Bonbons assortis - Conversations avec un enfant curieux - Les vues animées - Un ange cornu avec des ailes de tôle - Série La Diaspora des Desrosiers: La Traversée du continent T1La Traversée de la ville T2La Traversée des sentiments T3 - Le Passage obligé T4 - La Grande mêlée T5 - Au hasard la chance T6 - Les clefs du Paradise T7 -  Survivre! Survivre! T8 - La traversée du malheur T9


jeudi 29 février 2024

Celle qui brûle, Paula Hawkins

  

D’entrée de jeu ne vous attendez pas à découvrir un roman à l’intrigue étonnante et aux rebondissements stupéfiants non! En fait l’auteure nous propose plutôt une histoire alternant entre passé et présent dans laquelle nous suivons principalement trois personnages féminins qui ont un point commun : celui d’avoir connu, chacune à un moment ou un autre de leur vie, des événements tragiques difficiles à oublier. Chacune cache, vis-à-vis ces drames marquants, une colère, une haine, voire même de la culpabilité au fond de leur mémoire qui ne demandent qu’à être, soit assouvies, soit pardonnées.

Un jeune homme est retrouvé mort. Daniel que chacune connaissait! Est-ce l’une d’entre elles la coupable ou quelqu’un d’autre les côtoyant?  Est-ce un acte de jalousie, de vengeance ou tout simplement un meurtre gratuit?  

Au fil des pages l’auteure nous dévoile peu à peu les douloureux souvenirs qui rongent ses personnages et, sous ces immersions dans leur intimité respective, elle n’hésite aucunement à semer le doute d’un chapitre à l’autre. Constat certain, Paula Hawkins sait intelligemment brouiller les pistes et ce jusqu’à la fin.

Ce thriller comporte une histoire bien construite, d’une intrigue intéressante mais le cœur de ce roman se situe surtout autour de la psychologie des protagonistes travaillée avec habileté par une auteure au talent certain.   

Bref, Paula Hawkins, avec Celle qui brûle, m’a fait passer un agréable moment de lecture.


Celle qui brûle, Paula Hawkins

Traduction : Corrine Daniellot et Pierre Szczeciner

Sonatine, 2021


Autre roman de l'auteure sur le blogue: Au fond de l'eau



mardi 27 février 2024

Une belle surprise!

 

Illustration: Norman Rockwell *

Hon sirop, j’ai eu droit à une très belle surprise cette fin de semaine et qui m’a fait vraiment plaisir. Je vous explique.

Avant Balades entre les lignes, j’ai eu un autre blogue littéraire que j’ai dû fermer car l’hébergeur ne donnait plus le même service qu’auparavant. J’ai donc opté pour Blogger et je suis bien contente de mon choix jusqu’à maintenant. Cependant, lors du déménagement de l’ancien blogue vers ici, j’ai perdu bien involontairement plusieurs avis de lectures. Moi qui d’ordinaire garde tout en double,  je ne vous cacherai pas que ces pertes m’ont attristée un bout pour finalement en faire mon deuil.  

Mais voilà que, par hasard, je ne sais pas ce qui m’a pris mais j’ai décidé de faire un grand ménage dans mes cahiers de notes. Dans quelques-uns de ceux-ci, bien cachés entre les pages jaunies, j’ai retrouvé un bon nombre de chroniques que j’avais écrites antérieurement et que je croyais perdues à jamais. Pas besoin de vous dire ma joie! 

Je vais donc prendre le temps de lire ce que j’avais écrit il y a un sacré bout et venir déposer ici ceux qui n’ont pas trop vieillis sans pour autant négliger de venir vous « jaser » de mes lectures actuelles et datant un tout petit peu.

Sirop que je suis contente. Donc, à très, très vite.


* Illustration de Rockwell titrée: « Jo seated on the old sofaet » parue dans «The most beloved american writer », «Woman’s Home Companion», 1937 pour illustrer « Les quatre filles du docteur Marsh » de Louisa May Alcott.

dimanche 18 février 2024

Le Roitelet, Jean-François Beauchemin

 

Un homme vit paisiblement à la campagne avec sa femme Livia, son chien Pablo et le chat Lennon. Pour cet écrivain parvenu à l’aube de la vieillesse, l’essentiel n’est plus tant dans ses actions que dans sa façon d’habiter le Monde, et plus précisément dans la nécessité de l’amour. À intervalles réguliers, il reçoit la visite de son frère malheureux, éprouvé par la schizophrénie. Ici se révèlent, avec une indicible pudeur, les moments forts d’une relation fraternelle marquée par la peine, la solitude et l’inquiétude, mais sans cesse raffermie par la tendresse, la sollicitude.

Il existe de ces écrits qui nous laissent au fond du cœur un merveilleux souvenir de lecture et Le roitelet  en fait partie car les mots qui se glissent au fil des pages nous restent en mémoire longtemps. Et laissez-moi vous dire que ceux de Jean-François Beauchemin se savourent doucement comme le plus succulent dessert que l’on déguste par petites bouchées afin que le plaisir demeure.   

J’avoue qu’il m’est difficile de venir vous parler de ce récit car mes mots ne sauraient refléter à leur juste valeur ceux de l’auteur. Tout simplement parce que les mots de l'écrivain sont beaux, profonds et que Beauchemin sait très bien les étaler page après page. Puis, parce qu'il sait si bien raconter autant l'émerveillement que l'inquiétude, autant son amour pour Livia que sa tendresse fraternelle envers son «roitelet» et, autant ses beaux souvenirs comme ses doutes et espoirs, je vais terminer ce petit billet en vous déposant quelques extraits débordant de douceur et sensibilité. Bref, comme ce merveilleux bouquin se découvre plus qu'il ne se résume, je vous en conseille la lecture sans hésitation.

« Parfois, rien n'arrive et c'est un enchantement. S'endormir sur le sofa avec une oreille de chien sur la joue. Ne rien dire, écouter les gens parler de leur vie, se souvenir, expliquer, retracer en eux-mêmes le trajet qui les a menés où ils sont. […]Repenser à mon père qui chante dans son vieux complet démodé, à tous ces gens debout à ses côtés dans l'au-delà et qui tiennent leur coeur dans les mains. » 

« Hier soir, tandis qu’il marchait à mes côtés dans la campagne, mon frère, comme devinant ma pensée, m’a dit ces choses troublantes: «On dirait que Dieu, après avoir visité ma vie, en est reparti en éteignant la lumière.
C’est en vain que je l’appelle et le prie d’y rétablir l’éclairage. » Puis, montrant du doigt les champs environnants:
«Regarde un peu ces lucioles. Elles clignotent dans la nuit pour se reconnaître entre elles. Mais moi, je ne suis la lampe de personne. »
 

« Oui, c'est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l'or et la lumière de l'esprit s'échappaient par le haut de la tête. Je me souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, voire nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères, pourrait-on dire ».  

« Une heure s'était écoulée lorsqu'à la fin j'ai enroulé mon frère dans la serviette et saisi le peigne pour au moins tenter de donner une forme à cette chevelure insurgée. C'est ce moment qu'il a choisi pour prononcer ces mots déchirants de lucidité : «Je suis un puits sans fond. J'ai beau fouiller en moi, je n'aperçois rien qu'une nuit profonde. Je suis perdu. » Et moi, l'écrivain, le spécialiste des mots, je n'ai pas su quoi lui répondre. » 

 « La vie passe, m’a dit ce matin mon frère une fois achevée sa lecture de mon manuscrit. La vie passe, banale, insignifiante, et pèse pourtant à ce point sur la pensée, le caractère et l’âme qu’elle finit par leur donner une raison d’être. Oui, presque rien n’arrive dans cette histoire, mais tout y a un sens. » 



Le roitelet,  Jean-François Beauchemin

Québec Amérique, 2023